jeudi 19 novembre 2015

Sortir du cocon

Je n'ai jamais occupé un emploi bien longtemps.

En fait, ce n'est pas tout à fait vrai. Au début de mon cégep, je suis devenue caissière chez IGA et j'y suis restée pendant quatre ans et demi. Mais dans ma tête, c'est tellement loin que j'ai l'impression que je ne m'en rappelle plus. Je me souviens que j'étais épuisée quand je terminais mes journées de travail et que je voulais juste retourner chez moi pour me rouler en boule dans mon lit. J'ai quitté l'épicerie pour un emploi moins demandant physiquement, mais après trois mois seulement, mon médecin de l'époque m'a mise en arrêt de travail. Je n'étais pas encore greffée à ce moment, même que dans mon esprit, j'en étais encore très loin. 

Je n'ai recommencé à travailler qu'une fois greffée. Des emplois d'été, dans un bureau. Ensuite, il y a eu mon stage pour terminer mon bacc en travail social qui a duré huit mois. C'est techniquement mon dernier "emploi" que j'ai tenu le plus longtemps. 

Où j'essaie d'en venir est que je ne suis pas habituée de travailler sur du long terme. J'ai toujours fait des trucs temporaires, pour ramasser un peu d'argent, pour me désennuyer, pour les études. Mon corps et mon esprit ne sont pas habitués au long terme. Oui, ils l'ont déjà été, mais ils ont oublié, on dirait. 

J'ai passé plus d'un an à me chercher du travail après la fin de mes études, en espérant trouver quelque chose de stable et qui me sortirait de chez moi. Maintenant que j'ai trouvé, j'en viens à me demander si je vais être capable de rester là pour "le reste de ma vie". Comme toutes ces personnes normales qui occupent un poste pendant des années, voire pendant toute leur carrière. Ma propre carrière ne durera probablement pas 25 ans, mais j'espère bien pouvoir travailler encore plusieurs années. Mais au même endroit? Pas certaine.

Oh, ce n'est pas que je n'aime pas ce que je fais en ce moment. Ça me garde bien occupée, je rencontre des gens, ça me stimule bien intellectuellement et ça me garde aussi un peu dans ma zone de confort, dans ce que je sais que je maîtrise. Mais si je me tannais? Si j'avais envie de changement dans un an, quand mon contrat sera terminé? Je suis une éternelle insatisfaite, alors pourquoi serais-je capable de me contenter de mon poste actuel pour les années à venir? En recherche d'emploi, je visais le long terme parce que je n'en pouvais plus de chercher (et de me faire constamment demander par mon entourage si j'avais trouvé quelque chose...). Je voulais me caser, comme tout le monde. Je suis casée, maintenant. 

Et maintenant, justement? Qu'est-ce que je fais? Je refais la même chose à l'infini jusqu'à ma mort? C'est déprimant de constater que c'est ça, la vraie vie de tous les humains. L'éternelle routine du métro-boulot-dodo. C'est bien d'avoir une routine dans son quotidien, pour savoir où on s'en va, pour se rassurer que tout roule, que notre petit monde n'aura pas bouger lorsqu'on reviendra à la maison le soir après notre journée de travail. Qu'on va manger notre souper en compagnie de notre amoureux, qu'on va faire la vaisselle et qu'ensuite, on va se caler confortablement dans le divan pour regarder les émissions de soirée à la télé. La routine du quotidien à deux ne me dérange pas. Mais celle du travail, qui se répète et se répète... Pas certaine d'avoir assimilé ce concept, encore. 

Je pensais que j'avais terminé la phase "je tombe en bas de mes attentes trop élevées face à la nouvelle vie que m'offre la greffe". Vous savez, celle qui procure une euphorie incroyable d'une nouvelle vie qui va t'émerveiller chaque jour pour le restant de ta vie et que des problèmes, des soucis, des creux de vague, il n'y en aura pas. Je me voyais surfer sur la vague, heureuse et comblée de simplement être en vie et que tout allait me contenter, petit boulot répétitif et compagnie. Mais je me rends bien compte que de revenir dans la réalité, même après six ans avec mes nouveaux poumons, ça fait encore mal. Et ça me déprime encore. On dirait que je ne suis pas encore totalement sortie du cocon dans lequel la maladie m'avait enveloppé, imperméable aux désagréments du quotidien "normal" de cette planète.

Il serait plus que temps que j'en sorte, je pense.